Numérisation de la fourniture d’énergie

La situation en Région Bruxelles-Capitale

La numérisation de la fourniture d’énergie est la source de difficultés pour de nombreuses personnes habitant à Bruxelles. Dans sa pratique quotidienne Infor GazElec a relevé des situations problématiques générées par la disparition des services de proximité des fournisseurs et par la politique commerciale de certains d’entre eux. Les fournisseurs d’énergie en tant qu’ils constituent un service d’intérêt général doivent respecter des obligations de service public instaurées pour protéger les consommateurs et consommatrices dans le marché dérégulé de l’énergie. Le non-respect de ces obligations (OSP) entraîne des discriminations interdites tant par la législation régionale que fédérale

1. Les services clientèle de proximité ont été supprimés en 2018

L’Ordonnance du 23 juillet 2018 (MB 20-09-2018) a abrogé l’article 25 quattuordecies de l’Ordonnance électricité et 20 undecies, §5 de l’Ordonnance gaz qui prévoyaient que :

« § 5. Les fournisseurs responsables de plus de 10 000 points de fourniture d’électricité mettent à disposition de leurs clients au moins un service clientèle de proximité. BRUGEL peut préciser les modalités attendues en termes de proximité du service. Le Gouvernement remet au Parlement une évaluation sur la nécessité de créer un service clientèle de proximité pour les clients, et ce dans un délai de cinq ans. ».

Cette suppression faisait suite à l’étude de Brugel qui concluait à l’inutilité des guichets physiques et aux dangers que cela représentait pour les fournisseurs qui risquaient de quitter le marché bruxellois ou de ne pas y venir. On remarque aujourd’hui à quel point cet argument manquait de pertinence puisque les fournisseurs sont partis après la suppression de l’obligation et ne reviennent pas alors que la mesure reste supprimée.

Les autres justifications étaient aussi peu convaincantes mais, quoi qu’il en soit, il en est résulté une suppression de l’obligation de service public de maintenir des services clientèle de proximité pour les fournisseurs ayant plus de 10.000 points de fourniture.

Les seuls guichets encore ouverts sont ceux d’Engie. L’un est situé rue Rogier et l’autre dont l’accessibilité est loin d’être optimale, se trouve dans les locaux en sous-sol de la Poste à la gare du Nord. Le problème est que ces guichets sont sous-traités par des employés de la Poste et donc ne sont pas encadrés par Engie lui-même.

L’étude de Brugel estimait aussi qu’un « point guichet » coûtait la somme exorbitante de 400.000 euros par an. Quand on voit le guichet ouvert par Engie à la poste, il est difficile d’imaginer que cela coûte autant d’argent : il y a deux personnes debout dernière une table haute au milieu de la salle où déambulent les gens et c’est tout.

Une autre justification avancée par Brugel était l’existence d’Infor GazElec mais ce service n’est pas là pour pallier les déficiences des fournisseurs et remplacer leurs services clientèle mais bien pour faire respecter les droits des usagers et les aider dans la comparaison des offres de ces mêmes fournisseurs.

Voici l’étude en entier : https://www.brugel.brussels/publication/document/etudes/2016/fr/etude-12.pdf

Brugel relevait aussi dans son avis que les fournisseurs avaient développé « ces dernières années différents canaux de communication qui répondent de manière optimale aux attentes d’une majorité de la clientèle ; call-center, internet…; tous ces outils relevant de pratiques commerciales s’inscrivant dans leur vision stratégique ».

Cette affirmation ne correspond pas à la réalité du terrain malgré la « vision stratégique » des fournisseurs car ces différents canaux mènent souvent à des impasses qui portent atteintes aux droits des usagers et leur compliquent inutilement la vie. En effet les comptes clients sont parfois défectueux ou incompréhensibles pour ceux qui s’y risquent, les réponses à des questions par mail génèrent des mails « no-reply » qui renvoient aux FAQ, les call-center obligent parfois d’attendre plusieurs heures, et sont inaccessibles depuis la crise des prix de l’énergie ou se coupent d’office et les réponses données varient d’un interlocuteur à l’autre. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que pour avoir accès à des services en ligne il faut avoir facilement accès à de l’internet sécurisé et stable ce qui n’est pas à la portée de tout le monde et entraîne donc des discriminations liées à la condition sociale. Ce critère de discrimination n’est pas repris dans la législation dédiée à l’énergie à Bruxelles mais se retrouve dans le Code du logement qui interdit notamment les discriminations liées à la fortune ou à la condition sociale :

«   Art. 192.§ 1er. Le présent titre a pour objectif de créer, dans le secteur du logement, un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur le sexe, la prétendue race, la couleur, l’ascendance, la nationalité, l’origine nationale ou ethnique, le statut de séjour, l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la langue, l’état de santé, un handicap, une caractéristique physique ou génétique ou l’origine et la condition sociale, la conviction syndicale, les responsabilités familiales, l’adoption, la coparentalité et la paternité.
§ 2. Le présent titre transpose partiellement la directive 2004/113/CE du Conseil de l’Union européenne du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services. »

Il serait utile que les Ordonnances en matière d’énergie intègrent le rejet des discriminations prohibées par le Code du logement bruxellois et la directive européenne.

On lira aussi avec beaucoup d’intérêt l’excellent avis de UNIA relatif à l’impact de la digitalisation des services (publics ou privés) de février 2023[1].


[1]https://www.unia.be/files/Documenten/Artikels/avis_relatif_%C3%A0_limpact_de_la_digitalisation_des_services_(publics_ou_priv%C3%A9s).pdf

2. L’absence de service de proximité oblige les usagers à recourir aux outils numériques

Pourtant les outils numériques ne sont pas à la portée de tout le monde et ce, pour de multiples raisons. Il est d’abord nécessaire d’avoir un ordinateur et d’être connecté et ensuite d’avoir une formation suffisante pour les utiliser. Ceci exclut toute une partie de la population à Bruxelles qui soit ne sait pas lire et écrire (10%) soit est illettrée soit présente un handicap, soit ne connaît pas suffisamment une langue nationale, soit ne sait pas utiliser un ordinateur, envoyer un mail, créer un compte client etc. Mais même les personnes qui maîtrisent bien l’outil se voient confrontées à des réponses stéréotypées et générales, à des formulaires qui ne contiennent pas tout l’éventail des situations ou même à des erreurs.

Quelques exemples illustrent ce constat :

  • 2 août 2021 : Madame T. demande un contrat par téléphone à Engie et reçoit un mail de confirmation mais son code d’activation n’arrive pas. Comme il n’est pas possible de répondre au mail d’Engie, Madame téléphone et elle apprend que le contrat est en attente. Elle appelle de temps en temps pour le suivi mais en mars 2022 rien n’est encore réglé : Madame T. n’a toujours pas de contrat, ce qui pourrait lui valoir de payer à Sibelga une consommation sans contrat mais en outre elle se voit en plus refuser la prime fédérale de 100 euros car elle n’a pas de contrat valable au 31 mars 2022.
  • 10 octobre 2022 : Madame P. est obligée de sacrifier toute une matinée pour obtenir un interlocuteur chez son fournisseur d’énergie à qui elle veut exposer son problème.
  • 15 novembre 2022 : Madame G. a essayé de changer son contrat via son espace client sans y parvenir.
  • 15 novembre 2022 : Monsieur A. a souscrit un contrat via le site d’Engie pour ses deux énergies. Engie lui a envoyé une confirmation par mail mais le site ne lui a demandé ni son nom ni sa date de naissance. En outre, le numéro de téléphone indiqué dans l’accusé de réception reçu par mail n’est pas bon. Conclusion : il a fallu l’intervention d’Infor GazElec pour que Monsieur A. puisse avoir un contrat en bonne et due forme.
  • 24 novembre 2022 : Suite à son emménagement, Monsieur I. souscrit via le site un contrat Engie Direct pour ses deux énergies. Il reçoit un accusé de réception sur son adresse mail mais le site n’a pas enregistré le bon numéro du compteur gaz. Le numéro de téléphone n’est pas correct non plus. A nouveau, il faut l’intervention d’Infor GazElec alors que Monsieur I. est tout à fait capable de souscrire un contrat en ligne.
  • 24 novembre 2022 : Madame B. a essayé d’accéder à son espace client avec son mail sans y parvenir. Elle demandait juste d’envoyer un duplicata de son décompte annuel.
  • 30 novembre 2022 :  Monsieur D. a souscrit, via le site, un contrat Engie Direct. Il a reçu un accusé de réception par mail mais le site ne lui a pas demandé son numéro de compteur ni son code EAN.
  • 1er décembre 2022 : En introduisant une demande de rectification d’acompte sur son espace client chez TotalEnergies, une erreur intervient et Madame N. ne parvient pas à payer les montants. Elle est obligée de demander une rectification pour l’arriéré.
  • 8 décembre 2022 : un mail de TotalEnergies à une question d’une usagère renvoie aux FAQ et au téléphone qui est rarement opérationnel. Il lui interdit aussi de répondre au mail envoyé, ce qui provoque beaucoup de tensions car aucune alternative n’est explicitement proposée.
  • Février 2023 : Madame R. vient consulter les services d’Infor GazElec. Elle reçoit des lettres de rappel d’une société de recouvrement et des factures de Total dont elle conteste le montant. Nous essayons d’avoir accès à l’ensemble de la facturation et aux factures de régularisations en allant sur l’espace client de Madame. C’est le seul endroit où se trouvent les factures. Madame ne reçoit plus de factures « papiers » et les factures par mail renvoient à l’espace client. Malheureusement celui-ci n’est plus accessible. Nous en recevons la confirmation de Total : « Concernant l’espace client, compte tenu le transfert auprès du bureau de recouvrement Madame n’a plus accès à sa situation de compte tant que la créance est gérée par le bureau de recouvrement. »… et donc il faudra demander au bureau de recouvrement une copie des factures.

3. Les fournisseurs offrent des avantages à ceux qui utilisent leurs services en ligne et exigent parfois des adresses mail pour tous les contrats

Cette augmentation se vérifie depuis plusieurs années à Bruxelles. Ainsi les contrats exclusivement en ligne sont effectifs chez Octa+ depuis 2013, chez Mega depuis 2014 et en 2016 chez Engie et Total.

La différence de prix entre ces deux sortes de contrats est importante.

Nous avons comparé la facture annuelle de gaz du contrat le moins cher « online » avec le contrat le moins cher « papier », nous avons pour cela réalisé une estimation grâce au comparateur IGE. La différence en 2022 était de 207 euros (source : Infor GazElec)

Ces contrats en ligne sont moins chers en général que les contrats qui ne doivent pas être conclus en ligne de sorte qu’il se crée une discrimination entre ceux qui peuvent les conclure et tous les autres. Or les Ordonnances interdisent de faire des offres discriminatoires même si contrairement au Code du Logement les discriminations visées ne sont pas explicitement citées.

« Art. 25ter. § 1er. A tout client qui le lui demande, le fournisseur fait, dans les 10 jours ouvrables, une proposition raisonnable et non discriminatoire de contrat de fourniture, et communique les conditions générales de fourniture et notamment, s’il s’agit d’un client résidentiel, les dispositions de la présente ordonnance relatives aux clients protégés. Cette obligation s’impose au fournisseur pour tous les types de régime de comptage. »

En mars 2023, Infor GazElec a aussi été confronté au fait que TotalEnergies, exige des adresses mail pour tous les contrats.

Une plainte a été adressée à Total pour dénoncer la légalité de cette exigence.

Les arguments étaient développés en ces termes :

« Les fournisseurs ne peuvent pas obliger les consommateurs à communiquer une adresse mail lors de la conclusion du contrat. Rien dans les Ordonnances ou dans la loi ne leur permet de faire ça. Au contraire ça pose problème par rapport à deux législations, l’une régionale et l’autre fédérale : les Ordonnances et le RGPD applicable depuis le 25 mai 2018.

1. L’article 25 ter de l’Ordonnance électricité et son équivalent en gaz interdit de faire offre discriminatoire or l’obligation de communiquer une adresse mail discrimine tous ceux et toutes celles qui n’ont pas d’adresse mail ou ne veulent pas la donner. Une grande partie de la population à Bruxelles n’a pas ou ne sait pas utiliser un compte mail pour diverses raisons liées à l’âge, au handicap, à l’incapacité de lire et écrire. Il s’agit donc d’une discrimination qui n’a rien de marginal et qui prive une grande partie des personnes à Bruxelles de pouvoir conclure un contrat d’énergie.

2. Ensuite, il est important de souligner que l’adresse mail est une donnée personnelle que le consommateur peut refuser de donner à son fournisseur surtout que rien dans les Ordonnances ou dans les lois fédérales en matière d’énergie ou de consommation et rien dans les conditions générales des fournisseurs ne posent la communication de cette donnée personnelle comme une condition pour conclure un contrat d’énergie.

Selon l’article 4, §1er du RGPD, une donnée personnelle est « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (…); est réputée être une «personne physique identifiable» une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale »

Le traitement d’une donnée personnelle n’est licite que si, conformément à l’article 6 du RÈGLEMENT (UE) 2016/679 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, (RGPD), la personne a consenti au traitement de ses données pour une ou plusieurs finalités spécifiques ou b) le traitement est nécessaire à l’exécution d’un contrat. Or dans le cas d’un contrat d’énergie, le fournisseur peut très bien traiter une demande de contrat sans avoir l’adresse mail de la personne. Cela a toujours été fait ainsi et aucune raison n’est fournie pour justifier le caractère indispensable de la communication d’une adresse mail. En outre une donnée personnelle non indispensable ne peut pas être réclamée si la personne ne veut pas fournir cette donnée. Son consentement est en effet nécessaire. » Total n’a pas encore répondu à ce courrier.

4. Conclusions

Il est nécessaire d’apporter des solutions aux problèmes décrits ci-dessus et dans certains cas, de modifier les futures ordonnances afin d’obliger les fournisseurs à

  • Rétablir des services de clientèle de proximité,
  • Rendre leurs services téléphoniques efficaces et accessibles,
  • Revoir leurs services en ligne afin de diminuer les erreurs,
  • Supprimer les mails non personnalisés qui leur font juste gagner du temps pour ne pas répondre au problème réel,
  • Supprimer les offres discriminatoires pour les personnes qui ne peuvent conclure des contrats en ligne,
  • Inclure dans les futures Ordonnances une interdiction de l’ensemble des discriminations énumérées dans le Code du Logement.

L’alternative la plus conséquente serait d’avoir un fournisseur public qui assure un service de qualité.

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