Méthodologie tarifaire 2025-2029

En décembre 2023, l’autorité bruxelloise de régulation en matière d’électricité, de gaz et d’eau (BRUGEL), a proposé une nouvelle méthodologie tarifaire applicable au gestionnaire des réseaux de distribution d’électricité et de gaz naturel de la Bruxelles-Capitale (Sibelga) pour la période 2025-2029. Celle-ci a été élaborée en concertation avec Sibelga et est soumise à consultation publique entre le 13/12/2023 et le 31/01/2024.

Les modifications proposées pour la période 2025-2029 concernent essentiellement la structure tarifaire pour la distribution électrique basse tension[1]. Elles n’entreraient en vigueur qu’après une période transitoire de trois ans, à partir du 1er janvier 2028.

BRUGEL met largement en avant l’idée que cette nouvelle méthodologie contribuera à une plus grande « intégration » des consommateurs et consommatrices d’énergie « à la transition énergétique en cours, via des tarifs adaptés et incitatifs ». L’esprit de la réforme de la structure tarifaire repose sur l’idée que la tarification du réseau de distribution constitue une voie incitative permettant de rediriger l’utilisation d’électricité depuis des périodes de pointe vers des périodes où le réseau est moins chargé, et, par-là, de réduire la demande de production carbonée de cette énergie.

Pièce maîtresse : le compteur intelligent

Cette tarification incitative, que BRUGEL nomme « tarification évoluée », n’opèrera efficacement à ces fins qu’au prix de l’installation d’un « nombre suffisant de compteurs intelligents » en Région Bruxelles-Capitale. En vue d’inciter les Bruxellois et Bruxelloises à remplacer leur compteur classique par un compteur intelligent, BRUGEL propose l’introduction d’une différence de traitement pour certains tarifs non périodiques[2] en fonction du type de compteur. Ainsi, certaines prestations techniques ou administratives réalisées par le gestionnaire de réseau seront moins onéreuses lorsqu’elles sont liées à des compteurs intelligents. BRUGEL justifie cette différence au nom du fait d’une part que ces « compteurs ont des fonctionnalités différentes qui permettent à Sibelga d’économiser certains coûts », et d’autre part, au fait que ces différences seraient « justifiées par la nécessité d’inciter à la transition énergétique (le fait que certaines prestations soient moins onéreuses pourrait pousser certains clients à demander leur compteur intelligent par exemple) »[3].

À l’heure actuelle, le « déploiement à grande échelle des compteurs intelligents[4] » n’en est qu’à ses débuts en région bruxelloise, puisqu’il n’a commencé qu’en octobre 2023 et qu’il se confronte vraisemblablement à de nombreuses réticences des Bruxellois et des Bruxelloises (refus d’installation, refus de consentement pour la communication des données). C’est pour cela que BRUGEL propose une période transitoire de 3 années (2025-2026-2027) avant la mise en œuvre de la nouvelle structure tarifaire. La tarification évoluée prendra donc cours, pour les utilisateurs munis d’un compteur intelligent, à partir du 1er janvier 2028. Elle ne concerne que la composante « utilisation et gestion du réseau », et nécessite le consentement des utilisateurs pour la communication des données. Pour les autres utilisateurs (compteurs classiques, absence de consentement de communication des données), la structure tarifaire reste la même, à ceci près que les weekends et jours fériés ne seront plus comptabilisés comme des heures creuses dans le cadre du tarif bihoraire.

Tarification évoluée

Les modifications de la structure tarifaire induites par le passage à la tarification évoluée concernent uniquement la composante « utilisation et gestion du réseau de distribution ». Cette dernière se décline en une tarification capacitaire (puissance mise à disposition, sans lien avec la consommation réelle) et une tarification proportionnelle (liée à la consommation). Pour les utilisateurs et utilisatrices qui disposeront encore d’un compteur classique ou qui auront refusé la communication des données, une tarification par défaut s’appliquera : « une tarification capacitaire basée sur la puissance mise à disposition et un terme proportionnel à la consommation[5] ». On peut supposer que cette tarification par défaut sera calquée sur une puissance mise à disposition, sans doute supérieure à celle qui est utilisée en réalité, ce qui constitue une charge financière pénalisante.

Dans la tarification évoluée, la partie capacitaire sera calculée en fonction de la puissance maximale du disjoncteur lié au compteur intelligent. Cette puissance maximale sera choisie par l’utilisateur·ice et configurée à distance, via le compteur, par le gestionnaire de réseau. Plus la puissance maximale souscrite est élevée, plus le tarif capacitaire est élevé. On peut donc voir dans cette évolution tarifaire une volonté d’inciter à la limitation de la puissance souscrite.

La partie proportionnelle quant à elle sera calculée sur base d’un tarif divisé entre trois plages horaires : tarif de nuit, tarif de jour et tarif de pointe. Le positionnement et les prix des plages tarifaires n’ont pas encore été réellement décidés, il est néanmoins certain que le tarif nuit sera moins cher que le tarif jour, lui-même moins cher que le tarif de pointe. Pour peu qu’il adopte le « comportement vertueux recherché », l’utilisateur devrait « dégager des gains par rapport au tarif bihoraire »[6] et participer à la transition énergétique — c’est en tout cas l’esprit de la nouvelle méthodologie. Ainsi, la consommation devrait être redirigée depuis des périodes de pointe vers des périodes plus creuses, et donc moins demandeuses d’une production carbonée d’électricité.

Le choix de la voie incitative ?

On peut toutefois émettre quelques réserves ou questionnements quant à ces choix de modification de la structure tarifaire, à leur l’efficience quant aux objectifs déclarés et à leurs conséquences non prises en compte par le régulateur.

Une première question générale se pose : le choix d’une incitation par les prix est-il à même de remplir les objectifs en matière de transformation des usages de consommation, et donc, de transition énergétique ? On peut tout d’abord se demander dans quelle mesure une telle réforme pourra être opérationnelle dans un horizon de trois ans dès lors qu’elle repose sur l’implantation d’un grand nombre de compteurs intelligents à Bruxelles, et sur le consentement des utilisateurs et utilisatrices à partager leurs données. De ce fait, la possibilité d’une transformation significative des usages repose déjà sur cette condition, dont on peut raisonnablement douter de la réalisation à cette échéance. 

Ensuite, en admettant qu’une part significative de la population bruxelloise se dote d’un compteur intelligent et consente au partage de ses données, il n’est néanmoins pas certain que cela induise un véritable glissement des pratiques de consommation. La sociologie des pratiques sociales a mis en lumière les enjeux liés à la modification des usages et des habitudes. Une pratique sociale (en l’occurrence, un usage consommateur d’énergie) n’est jamais liée à la seule volonté de la personne. Le « comportement vertueux » d’utilisation qui est attendu dans le cadre de cette nouvelle méthodologie tarifaire ne réside alors pas uniquement dans le choix des personnes. Une pratique sociale se déploie au cœur de plusieurs dimensions : des savoir-faire et des routines, des dimensions matérielles, des sensibilités personnelles et des procédures institutionnalisées[7]. Ainsi, la consommation électrique n’est jamais une action isolée, et donc flexible ou différable, mais elle est inscrite dans des formes de vie, c’est-à-dire qu’elle prend pied dans une infrastructure technique, dans un état du bâti, dans une organisation sociale des temps et des rythmes d’existence, dans des dotations en ressources financières et des compétences — dans des manières de vivre, en somme, qui ne dépendent jamais de la seule décision des personnes.

De ce fait, le choix d’une incitation par les prix, parce qu’il considère l’usager comme un seul agent économique, comporte de forts risques en matière de justice sociale. Le fait de différer des usages repose sur la disposition d’appareils électriques et d’équipements intelligents, sur des compétences techniques et une disposition suffisante des informations[8]. On peut craindre une perte importante pour les personnes les moins capables de restructurer leur consommation d’électricité en fonction de la nouvelle grille de tarification du réseau, ceux pour lesquels l’élasticité de la demande électrique est la plus faible par rapport au signal-prix : il n’est pas difficile de choisir de recharger la batterie de sa voiture électrique entre 23 h et 6 h, il l’est beaucoup plus de choisir de se chauffer entre 23 h et 6 h, ou de cuisiner, ou de faire ses lessives, etc. On sait que ce sont parmi les publics qui sont déjà les plus précarisés qu’il est le plus probable d’avoir des rythmes de vie non flexible ou d’avoir les logements les plus mal isolés. De même, c’est au sein de ces populations qu’on trouve les personnes qui ont une littératie moindre en cette matière (personne allophone, fracture numérique, niveau d’éducation plus faible), et ne sont pas spécialement outillées pour adopter « le comportement vertueux » qui permet de dégager les « gains » promis par la nouvelle méthodologie tarifaire. On peut alors craindre que cette réforme, sous couvert d’engager la transformation des pratiques et des usages, vienne renforcer les inégalités sociales pour les gens qui n’ont pas le pouvoir, la capacité ou l’aptitude à répondre aux incitations par les prix.


[1] La structure tarifaire du gaz resterait inchangée par rapport à la période 2020-2024, de même que celle pour la distribution électrique moyenne tension ou basse tension supérieure à 56 kVA.

[2] On distingue tarifs non périodiques et tarifs périodiques. Les premiers désignent l’ensemble des tarifs qui sont liés au raccordement au réseau de distribution et aux prestations techniques ou administratives effectuées par le gestionnaire de réseau. Les tarifs périodiques regroupent : les tarifs liés à l’utilisation et la gestion du réseau, les tarifs liés aux activités de mesure et de comptage, les tarifs liés aux obligations de service public, les tarifs liés au transport et les tarifs liés au financement de certaines surcharges. 

[3] BRUGEL, « Méthodologie tarifaire applicable au gestionnaire de réseau de distribution d’électricité et de gaz actif en Région bruxelloise pour la période 2025-2029 », p. 13. En ligne : https://www.brugel.brussels/publication/document/decisions/2023/fr/DECISION-252-Methodologie-tarifaire-2025-2029-partie-2.pdf

[4] Sibelga, « Qui a droit au compteur intelligent ? », en ligne : https://www.sibelga.be/fr/raccordements-compteurs/compteurs-intelligents/qui-a-droit-au-compteur-intelligent-

[5] BRUGEL, « Note synthétique : Méthodologie tarifaire 2025-2029 — partie 2 », p.2. En ligne : https://www.brugel.brussels/publication/document/notype/2023/fr/Note-synthetique-Partie2-methodologie-Structure-tarifaire.pdf

[6] Brugel, « Sur la procédure de concertation relative aux projets de méthodologies tarifaires applicable par le gestionnaire de réseau de distribution bruxellois d’électricité et de gaz pour la période 2025-2029 »

[7] Pour un bel exemple de ce cadre d’analyse appliqué à la question du chauffage résidentiel, on lira : https://www.slowheat.org/post/qu-est-ce-qu-une-pratique-sens-commun-th%C3%A9ories-et-applications-empiriques

[8] Or, on peut supposer que la mise en œuvre d’un tarif trihoraire viendra complexifier encore un peu plus ces questions.

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