Comment est-ce possible?
Le marché du gaz et de l’électricité
Pour cerner l’augmentation actuelle des prix du gaz et de l’électricité pour les ménages, il convient de distinguer les quatre composantes d’une facture. Tout d’abord, la « commodité », c’est-à-dire l’énergie (gaz ou électricité), qui est la seule partie soumise à la concurrence, elle correspond au prix du kilowattheure proposé par les fournisseurs. A celui-ci s’ajoute le prix de la « cotisation verte », d’une part, les frais de réseaux de transport et de distribution, d’autre part, et enfin les différentes redevances ou surcharges, ainsi que la TVA.
C’est le prix de la partie commodité qui a fortement augmenté depuis plusieurs mois. Il n’est pas régulé et se fixe dans un contexte de marché libéralisé.
En effet, les décisions prises au sein de l’union Européenne dès 1996 ont conduit à la libéralisation totale du marché du gaz et de l’électricité en Belgique en 2007. Depuis lors, les contrats de gaz et d’électricité sont proposés aux ménages dans un contexte de concurrence entre fournisseurs commerciaux. L’objectif déclaré était de faire diminuer les prix en permettant l’accès au marché à de nouveaux fournisseurs dans les états membres. Cette libéralisation a amené des nouveaux acteurs aux cœurs de métiers différents sur le marché du gaz et de l’électricité. Là où les fournisseurs historiques comme Electrabel ou Luminus étaient des producteurs-fournisseurs, ces nouveaux acteurs n’ont bien souvent pas de production propre et achètent sur les marchés de gros toute l’énergie qu’ils revendent aux usagers ou aux professionnels, en réalisant un profit.
La libéralisation s’est accompagnée de la fusion des marchés boursiers européens du gaz et de l’électricité. Puisque les fournisseurs achètent une partie de l’énergie qu’ils revendent sur ces marchés, une augmentation des prix boursiers se répercute sur les prix offerts aux ménages, certains contrats indexant directement le prix payé par les consommateurs sur les cotations boursières.
Au début de l’année 2021, les prix du gaz et de l’électricité sur les marchés boursiers étaient très bas, ils ont commencé à augmenter tout au long de l’année mais se sont vraiment envolés au cours du dernier trimestre 2021 et se sont maintenus au cours du 1er trimestre 2022 avec une nouvelle augmentation depuis la guerre en Ukraine. En août 2022, le prix de l’électricité sur les marchés boursiers était de 350 euros par mégawatt-heure (MWh) contre 51 en janvier 2021, ce qui représente une augmentation de 586 %, tandis que celui du gaz était de 171 euros par MWh contre 16 euros en janvier 2021, soit une augmentation de 968% en un an.
Les différents types de contrat
En temps normaux, les fournisseurs proposent deux types de contrats résidentiels en Belgique : des contrats à prix variable et des contrats à prix fixe. Pour les premiers, le prix de la commodité est indexé sur les marchés boursiers de l’électricité et du gaz, le prix de la commodité oscille donc pendant la durée du contrat : il augmentera si les prix sur ces marchés augmentent et inversement. En revanche, les contrats à prix fixe garantissent aux consommateurs durant toute la durée de leur contrat un prix stable, fixé au moment de la signature du contrat. Ces contrats sont en général d’un an reconductible, toutefois la région de Bruxelles-Capitale a prévu qu’ils doivent avoir une première durée de trois ans, ce qui dans le contexte actuel de prix très élevés représente une protection importante pour les ménages qui ont signé un contrat à prix fixe avant l’augmentation des prix. Néanmoins, ceux disposant d’un contrat à prix fixe qui arrive à échéance aujourd’hui se voient proposer un contrat beaucoup plus cher. Par ailleurs, les contrats à prix fixe ne sont plus proposés en région de Bruxelles-Capitale depuis la mi-mars 2022, tandis qu’en Wallonie et en Flandre il n’y a plus que Luminus qui en propose.
Les conséquences de l’augmentation des prix sur la facture des ménages
L’augmentation des prix sur les marchés boursiers se répercute sur la partie commodité de la facture. De manière générale, les factures ont un peu plus que doublé en un an, nous avons estimé l’augmentation pour un profil de consommation, le consommateur médian (1) en Région de Bruxelles-Capitale, considéré comme la consommation de référence. Nous avons comparé les tarifs proposés en avril 2021 avec ceux d’avril 2022 pour le contrat Easy variable, considéré comme le contrat par défaut en Belgique. La consommation des ménages dépend évidemment de plusieurs facteurs comme la surface du logement, l’isolation, etc.
Un consommateur médian qui disposait de ce contrat payait annuellement 1.303 euros lorsqu’il le souscrivait en avril 2021 soit 108 euros par mois, alors qu’en souscrivant en août 2022 il payera 2919 euros par an, soit 243 euros par mois. A titre comparatif, un consommateur médian au tarif social à partir d’août 2022 payerait 81 euros par mois. Cela confirme le caractère indispensable et protecteur du tarif social pour les plus fragiles.
Mettons ces montants en parallèle avec le plus gros poste de dépense d’un ménage qui est le loyer. En région de Bruxelles-Capitale, le loyer mensuel médian s’élevait à 700 euros par mois selon l’Observatoire des loyers (chiffres 2018). Un ménage bruxellois ne bénéficiant pas du tarif social et ayant une consommation médiane d’énergie et un loyer médian payerait 943 euros pour l’ensemble de ces deux postes de dépenses. Au regard de ces augmentations, nous comprenons rapidement que de nombreux ménages ne peuvent tout simplement pas allouer de telles sommes pour les dépenses énergétiques. Ces augmentations mettent en péril leur budget et font peser sur eux un risque d’endettement important. En 2019, la Fondation roi Baudoin estimait déjà que 20% des ménages belges se trouvaient en situation de « précarité énergétique », cette proportion risque d’augmenter de manière significative.
(1) Consommateur médian en région de Bruxelles-Capitale : consommation annuelle d’électricité de 2.036 kWh et consommation annuelle de gaz de 12.728 kWh, selon Brugel, Observatoire des prix de l’électricité et du gaz en région de Bruxelles-Capitale, Avril-Mai-Juin 2020. La médiane est la valeur du milieu de la distribution statistique : dans ce cas cela signifie que la moitié des usagers ont une consommation annuelle d’électricité de moins de 2.036 kWh et une consommation annuelle de gaz de moins de 12.728 kWh et que l’autre moitié est au-dessus de cette médiane (les usagers en dessous ou au-dessus ne sont évidemment pas nécessairement les mêmes pour les deux énergies).
(2) Ce montant est une extrapolation annuelle à partir du tarif social au 2ème trimestre 2022, mais le tarif social étant calculé tous les trimestres, ce prix risque légèrement d’augmenter les trimestres suivants.