Par Nicolas Per
L’octroi du tarif social aussi suivant le revenu du ménage plutôt que seulement suivant une catégorie basée sur un statut ? La CREG rend son avis sur trois propositions de réforme du tarif social.
Le tarif social : Une protection efficace pour les ménages vulnérables
Le tarif social pour l’électricité, le gaz ou la chaleur est actuellement réservé à certaines catégories de personnes ou ménages qui sont définis sur base de leur statut. Son objectif est de protéger les ménages les plus précaires, il s’agit d’un tarif réduit réservé à certaines catégories de ménages en lien avec l’octroi d’une allocation : RIS, GRAPA, allocation de personne handicapée. La commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz (CREG) calcule ce tarif social tous les trois mois en garantissant qu’il soit inférieur à celui des nouveaux contrats sur le marché.
Pendant la crise du Covid et celle des prix de l’énergie, l’octroi du tarif social a été élargi aux bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) du 1er février 2021 au 30 juin 2023.
Le tarif social constitue un outil essentiel de lutte contre la précarité énergétique protégeant des centaines de milliers de ménages[1] des augmentations brutales des prix de l’énergie pouvant entraîner l’endettement et la précarisation. Il s’agit de la principale mesure de protection des ménages les plus précaires en Belgique.
Plusieurs études ont montré son efficacité pendant la crise des prix. De fait, la Banque nationale de Belgique a souligné son efficacité dans son étude de 2022[2], le considérant comme une mesure essentielle pour soutenir les ménages en difficulté. S’appuyant sur les résultats du dernier baromètre de la précarité énergétique lors de son audition à la chambre[3], Pascale Taminiaux (Fondation Roi Baudoin), a souligné le rôle protecteur du tarif social, avant tout pour les ménages à faibles revenus. Selon elle, durant l’année 2022, les ménages avec les plus faibles revenus ont été mieux protégés des effets de la crise grâce au tarif social, à l’inverse des personnes dont les revenus sont situés dans les deux déciles supérieurs. Aussi, une étude de FORBEG[4] comparant le système de protection belge avec celui de quatre autres pays européens (Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas et Royaume-Uni) a confirmé que le tarif social en Belgique offre la meilleure protection pour les clients vulnérables parmi les pays étudiés, maintenant le poids de la facture énergétique à des niveaux similaires pour les ménages vulnérables et ceux aux revenus moyens, réduisant ainsi significativement leurs dépenses énergétiques.
Néanmoins, depuis le 1er juillet 2023 et la fin de son application aux BIM, le tarif social est octroyé uniquement en fonction de la nature des revenus et non de leur montant. Cela crée des inégalités entre des ménages aux revenus similaires, certains ayant droit au tarif social tandis que d’autres non. Des organisations comme UNIA, MYRIA et le Service fédéral de Lutte contre la Pauvreté[5] dénoncent ces traitements discriminatoires qui vont à l’encontre du principe d’égalité et de non-discrimination. Pour remédier à cette situation, elles recommandent d’octroyer le tarif social en se basant sur les revenus réels des ménages et non uniquement sur des données fiscales obsolètes grâce au « développement d’outils permettant de se rapprocher au mieux de la situation actuelle des ménages en termes de revenus ». En attendant ces changements, les organisations préconisent d’accorder le tarif social aux personnes bénéficiant du statut BIM pour assurer une protection sans discrimination.
Consultation de la CREG pour réformer le tarif social
Sur demande de la ministre fédérale de l’énergie, la CREG a rendu, en 2023, l’avis (A)2530 concernant des pistes visant à réformer le tarif social. Ce document explore différentes possibilités afin d’améliorer l’efficacité du tarif social en tant qu’outil protecteur des ménages les plus vulnérables. Il pointe notamment les limites dans l’attribution du tarif social sur base de statut social plutôt que sur bases des ressources financières des ménages et prône la pérennisation de son octroi aux bénéficiaires de l’intervention majorée. Afin de limiter le coût pour le budget de l’état de cette mesure, la CREG propose toutefois de l’associer à un plafond de revenus, celui des « BIM » fixé par l’INAMI[6]. D’autres pistes sont aussi explorées dans cet avis, en particulier un tarif social dégressif en fonction des revenus ou encore l’application du tarif social sur un volume limité, etc. Favorable à un tarif social dégressif, la CREG fixe cependant le prérequis de « la création d’une base de données fédérale permettant d’associer les ayants droit à des catégories de revenus ».
Un an plus tard, le 18 mars 2024, la CREG a reçu une demande de la Chambre des représentants de Belgique visant à rendre un avis sur les trois projets de réforme du tarif social suivants :
- la proposition de loi relative à l’ancrage de l’extension du tarif social, déposée par Mme Kim Buyst et consorts (Ecolo/Groen), datant du 10 juin 2022.
- la proposition de résolution relative à la réforme du tarif social pour l’énergie déposée par Mme Nahima Lanjri et consorts (cd&v), datant du 9 mars 2023.
- la proposition de résolution relative à la réforme du tarif social pour l’énergie, déposée par MM. Reccino Van Lommel et Kurt Ravyts (Vlaams Belang), datant du 23 juin 2023.
Les trois propositions visant à réformer le tarif social
Ces trois propositions ne contestent pas l’utilité du tarif social, mais proposent d’apporter des améliorations, constatant des différences de traitement entre catégories d’individus. Elles ne partagent cependant pas les mêmes orientations.
1.Propposition de loi relative à l’ancrage de l’extension du tarif social
ECOLO/GROEN
Ecolo et Groen proposent de transformer l’extension temporaire du tarif social pour les bénéficiaires de l’intervention majorée en une mesure permanente. Leur proposition de loi vise à garantir la continuité de cette aide pour cette catégorie de bénéficiaires en abrogeant l’article 10, 2e alinéa de cet arrêté, qui prévoit la fin de cette extension temporaire.
2. Proposition de résolution relative à la réforme du tarif social pour l’énergie
CD&V
La proposition du cd&v suggère des améliorations pour réformer le système actuel du tarif social. Voici les principaux points :
- Conditionner l’octroi du tarif social sur la base de critères de revenus, en complément de l’octroi basé sur les statuts sociaux, en se référant éventuellement aux critères utilisés pour les bénéficiaires de l’intervention majorée de la mutuelle (BIM).
- Développer des outils pour évaluer plus précisément la situation financière des ménages, afin de réduire le décalage temporel entre la perception du revenu et sa confirmation par l’extrait de rôle.
- Informer les ménages éligibles au tarif social sur la base de leurs revenus par courrier, avec un formulaire de demande et une déclaration sur l’honneur, et offrir une assistance pour remplir ce formulaire, par exemple avec l’aide du CPAS.
- Prendre des mesures pour éviter les pièges à l’inactivité, où un consommateur pourrait perdre son droit au tarif social en reprenant un emploi.
- Mettre en place un système dégressif pour l’octroi du tarif social, où l’avantage diminue progressivement lorsque les revenus du ménage dépassent un certain plafond.
- Tenir compte du nombre de membres du ménage dans la réforme du tarif social, ce qui aurait un impact sur le plafond de revenu applicable.
- Offrir une compensation forfaitaire aux locataires du marché privé éligibles au tarif social, mais résidant dans des bâtiments sans compteurs distincts pour l’énergie.
- Mettre en place un accord avec les Régions pour proposer l’installation de panneaux solaires aux bénéficiaires du tarif social et fournir une assistance avancée à cet effet.
- Mettre en place une collaboration entre le gouvernement fédéral et les Régions pour lutter contre la précarité énergétique en se concentrant sur des revenus suffisants et des logements économes en énergie.
- La réforme du tarif social devrait être soumise à la Chambre des représentants en vue de la mise en œuvre des nouvelles mesures le 1er janvier 2024.
3. Proposition de résolution relative à la réfomr du tarif social pour l’énergie
VLAAMS BELANG
Cette proposition vise à améliorer plusieurs aspects dans le système actuel du tarif social. Il est demandé au gouvernement fédéral de réformer ce système selon les axes suivants :
- Introduire des critères de revenus en plus des statuts pour l’octroi du tarif social, créant ainsi une catégorie de bénéficiaires éligibles à un régime dégressif basé sur les revenus nets imposables du ménage, selon les plafonds des revenus BIM de l’INAMI.
- Limiter le tarif social à des quotas de consommation moyenne fixés annuellement par arrêté royal, dépendant du nombre de membres du ménage et du type de chauffage, afin d’éviter le gaspillage et de motiver à réduire la consommation d’énergie.
- Établir des quotas dégressifs pour les bénéficiaires du tarif social selon leur revenu de référence, pour ne pas décourager le retour à l’emploi.
- Mettre en place un organisme chargé d’examiner les revenus, la situation familiale et le type de chauffage pour appliquer ce système.
- Informer les ménages de leur possibilité de demander le tarif social sur la base des revenus.
- Évaluer le mécanisme de fixation du prix marginal pour alléger au maximum la facture d’énergie.
L’avis de la CREG sur ces propositions
La CREG s’est prononcée sur ces trois propositions, qui, selon elle, partagent une demande commune : celle de réformer le système du tarif social en y incluant un critère de revenus, potentiellement aligné sur les plafonds de l’INAMI pour les bénéficiaires de l’intervention majorée. Elle renvoie à son avis (A)2530 de 2023 dans lequel elle soutenait déjà cette approche pour plusieurs éléments présents dans ces propositions de réforme. L’objectif est de cibler les ménages les plus exposés à l’inflation et aux risques de précarité énergétique (premier quartile de revenus) en ouvrant le droit au tarif social sur base d’un critère de revenus des ménages. La CREG préconise cependant d’ajouter un plafond de revenus (plafond INAMI) en complément des critères sociaux existants afin de mieux cibler les bénéficiaires du tarif social et de contenir les coûts pour l’État. L’extension temporaire du tarif social aux BIM a entraîné une multiplication par deux du nombre de bénéficiaires et, par conséquent, du coût du tarif social depuis le 1er janvier 2022, en partie financée par l’État à travers des recettes spéciales.
La CREG est favorable à la mise en place d’un système de tarif social dégressif en fonction des revenus pour plus d’équité, mais pointe les limites opérationnelles d’un tel dispositif qui nécessite en préalable une base de données fédérale permettant d’associer les bénéficiaires à des catégories de revenus. Bien qu’elle soit en cours de développement, la date de fonctionnement de cette base demeure inconnue.
Un système différencié selon le nombre de membres du ménage ou le type de chauffage serait plus juste entre les bénéficiaires, mais il se heurte actuellement à des difficultés opérationnelles qui ajouteraient une lourde charge administrative, ça n’est donc pas encore réalisable.
La CREG soutient l’instauration d’une prime tarif social pour les bénéficiaires sur la base de leur statut, mais qui ne peuvent pas en bénéficier pour des raisons techniques (compteurs collectifs). Dans ses avis (A)2647 du 21 septembre 2023 et (A)2776 du 21 mars 2024, elle poussait pour l’entrée en vigueur de cette prime le 1er juillet 2024.
La CREG soutient enfin les propositions qui poussent à la coopération entre le gouvernement fédéral et les régions en matière d’installation de panneaux photovoltaïques et de lutte contre la précarité énergétique tout en veillant au respect du partage des compétences.
Les deux dernières résolutions considèrent que dans certaines situations le tarif social peut « dissuader les ménages à retourner sur le marché de l’emploi », jugeant ces éléments de nature politique, la CREG ne s’est alors pas prononcée.
Conclusion
Pour conclure, la CREG est favorable à une réforme du tarif social pour en améliorer son efficacité. Dans ses deux avis (A)2530 et (A)2781 cités plus haut, elle donne des pistes précises afin d’y parvenir et se prononce à la demande de la chambre des représentants de Belgique sur les trois propositions de réforme évoquée. Il faudra attendre la prochaine législature pour imaginer une réforme du tarif social et espérer qu’elle tiendra compte des arguments de la CREG.
[1] La CREG estimait leur nombre 916.904 pour l’électricité et 574661 pour le gaz au 31 décembre 2021.
[2] Rapport 2022 de la Banque Nationale de Belgique « Préambule, Développements économiques et financiers, Réglementation et contrôles prudentiels », pp.102 et 103, https://www.nbb.be/fr/articles/rapport-2022-developpements-economiques-et-financiers
[3] Publié en 2024, le baromètre porte sur l’année 2022. Le document est disponible en ligne, à l’adresse : https://kbs-frb.be/fr/barometre-de-la-precarite-energetique-2024
L’audition de Pascale Taminiaux peut être visionnée sur https://www.dekamer.be/media/index.html?language=fr&sid=55U4821
[4] [3] FORBEG, “A European comparison of electricity and natural gas prices for residential, small professional and large industrial consumers », mai 2023, p.327, vu à www.creg.be.
[5] UNIA, MYRIA, Le Service fédéral de Lutte contre la Pauvreté, la Précarité et l’Exclusion sociale, « Avis n°324 relatif au tarif social », 10 mars 2023, www.unia.be.
[6] Voir les plafonds ici : https://www.inami.fgov.be/fr/themes/soins-de-sante-cout-et-remboursement/facilites-financieres/intervention-majoree-plafonds-des-revenus