Clients protégés et tarif social: la protection des ménages bruxellois en 2023

En vue de protéger les ménages les plus vulnérables, le législateur bruxellois a introduit le statut de « client protégé » dans les ordonnances relatives à l’organisation des marchés de l’électricité et du gaz en Région de Bruxelles-Capitale. Ce statut s’adresse aux clients résidentiels qui sont en situation d’impayé vis-à-vis de leur fournisseur commercial. Pendant la durée de la protection, le ménage se fournit auprès d’un « fournisseur social » à un tarif avantageux : le tarif social. Le statut de client protégé constitue une mesure centrale de la protection des usagers et usagères d’énergie, permettant bien souvent de limiter la précarité, voire d’éviter la coupure. Dans le même temps, l’obtention de ce statut signifie déjà une vulnérabilité du ménage, incapable de payer les factures associées à ses consommations énergétiques. Il faut donc observer de près l’évolution de ce mécanisme de protection à Bruxelles.

Clients protégés : une forte augmentation

Dès la fin de l’année 2022, on observait déjà une forte augmentation du nombre de clients protégés. Le nombre de ménages concernés par cette mesure de protection ne fait que grossir durant l’année 2023. En effet, en ce qui concerne le gaz, le nombre de clients protégés était de 2398 en novembre 2022. Il est passé à 6496 en novembre 2023, accusant une augmentation de 171 %. Durant la même période, le nombre de clients protégés pour l’électricité est passé de 3243 à 9072. L’augmentation est, dans ce cas, de 180%.

L’énergie est fournie dans ce cas par Sibelga, et facturée au prix du tarif social. Le SPF Économie définit le tarif social comme « une mesure destinée à aider les personnes ou les ménages qui appartiennent à certaines catégories d’ayants droit, à payer leur facture d’énergie[1] ». Ce dernier est défini à intervalle régulier par la commission de régulation de l’électricité et du gaz (CREG). Le tarif social pour le gaz et l’électricité permet de protéger les ménages les plus fragilisés. Il s’agit d’un tarif inférieur aux tarifs de marché. Celui-ci est permis grâce à un mécanisme de plafonnement du prix de la commodité.

Évolution du tarif social

Le tarif social n’est pas fixe, mais, à l’analyse, il évolue beaucoup moins vite que les prix commerciaux. En 2023, les prix du tarif social gaz ont été plafonnés chaque trimestre. Pour l’électricité, il n’a été plafonné que durant les deux premiers trimestres de l’année. Au troisième trimestre, certains prix commerciaux ont atteint des niveaux moins élevés que le prix du tarif social. Cela peut paraître surprenant, car le mécanisme de plafonnement est un très bon outil pour empêcher le tarif social d’augmenter brutalement, mais il n’empêche pas le prix d’augmenter sur une longue période.

À cause de la crise de l’énergie, depuis 2021, le tarif social a beaucoup augmenté, se rapprochant des prix commerciaux au 2e trimestre 2023. En juin, au moment de déterminer le tarif social du 3e trimestre, les prix proposés par les fournisseurs (dont le plus bas est utilisé pour le prix de la commodité du tarif social du trimestre suivant) étaient moins chers que le tarif social du 2e trimestre. Il n’a dès lors pas été plafonné. Il en est de même au quatrième trimestre.

Évolution des prix des tarifs sociaux
Période d’applicationÉlectricité en centimes par kWhGaz en centimes par kWh
Janvier 2023 – mars 202328,5793,729
Avril 2023 – juin 202330,7824,084
Juillet 2023 – septembre 202322,2384,471
Octobre 2023 – décembre 202321,5684,902
Variation annuelle– 25 %+ 31,5 %

Au premier trimestre 2021, période qui précède la crise des prix du gaz et de l’électricité, le tarif social était de 17,86 c€/kWh pour l’électricité et de 2,042 c€/kWh pour le gaz. Entre cette période et le dernier trimestre 2023, il a donc augmenté de 3,7 c€/kWh pour l’électricité, soit 20,7 % et de 2,858 c€/kWh, soit 140 % pour le gaz.

Ce graphique montre la différence entre la moyenne des prix des contrats commerciaux à prix variable et le tarif social pour l’électricité. Les prix sont exprimés, TVA comprise. On observe que le tarif social est resté bien moins cher jusqu’à la fin du 1er trimestre 2023, mais que l’écart avec la moyenne des tarifs commerciaux s’est resserré au 2e trimestre 2023, puis a augmenté à nouveau à partir du 3e trimestre 2023.

En ce qui concerne le gaz, on observe un écart bien plus important que pour l’électricité, avec des variations de cet écart qui correspondent à l’envolée des prix des contrats commerciaux. Le découplage observé en 2022 entre les tarifs sociaux et les tarifs commerciaux, largement plus marqués pour le gaz, tend à disparaître même si le tarif social gaz reste bien moins élevé que les tarifs commerciaux.

Le montant de la facture de gaz (pour ceux qui se chauffent au gaz) est en général largement supérieur à celui de la facture d’électricité, au vu du prix relativement bas du tarif social gaz, cela confirme à nouveau l’efficacité du rôle protecteur du tarif social pour les usagers les plus précaires, qui a été un amortisseur très important de la crise pour ce public.

La perte du tarif social pour les BIM

Concernant la protection des usagers et des usagères, un dernier évènement important de l’année 2023 doit être souligné : la perte du tarif social pour les BIM. Initialement, l’extension du tarif social aux BIM ne devait être appliquée que durant quelques mois, jusqu’en octobre 2021. Elle a finalement été prolongée une première fois en 2022, en raison de la flambée des prix de l’énergie, puis à nouveau durant la première moitié de l’année 2023, pour prendre fin au 1er juillet 2023.

Depuis, les bénéficiaires de l’intervention majorée ont perdu le bénéfice du tarif social et ont été versé·e·s dans l’offre commerciale la moins chère proposée par leurs fournisseurs. Le basculement vers cette offre commerciale entraîne une forte augmentation de leurs factures. Ces personnes sont à nouveau aux prises avec la précarité énergétique, et risquent le surendettement.

Pour comprendre ce que ce changement implique sur la facture annuelle de gaz et d’électricité, nous avons effectué plusieurs simulations pour une consommation médiane, c’est-à-dire 2036 kWh d’électricité et 12728 kWh de gaz. Cette simulation a été réalisée sur base de l’offre commerciale de base du fournisseur principal à Bruxelles vers laquelle une grande partie des bénéficiaires de l’intervention majorée ont été basculé·e·s en juillet de cette année.  

L’estimation de la facture annuelle d’un contrat à prix variable rencontre des limites. Nous ne pouvons pas connaître, au moment de la simulation, les prix annuels de ce type de contrat, ceux-ci variant tous les mois en fonction des cotations boursières. Pour effectuer cette estimation, deux méthodes sont possibles : (1) soit l’extrapolation à l’année entière des prix du mois en cours au moment de la simulation (ici juillet 2023), (2) soit l’utilisation des prix annuels futurs moyens estimés par le fournisseur pour ce même mois (ici en juillet 2023 également). Ceux types de comparaison ont été effectuées. 

Une facture annuelle de gaz et d’électricité avec le tarif social de juillet 2023, pour une consommation moyenne s’élèverait à 504 euros pour l’électricité et 606 euros pour le gaz, soit 1110 euros pour les deux énergies. Quelle différence avec un contrat commercial ?

Si on extrapole les prix de juillet 2023 à l’année entière[2], la facture annuelle s’élève à 698 euros pour l’électricité et 969 euros pour le gaz, soit 1575 euros pour les deux énergies. Cela représente une augmentation de 43 % par rapport au tarif social. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue qu’en général, le prix diminuent durant l’été, en raison d’une diminution de la demande d’énergie. Les prix de juillet ne sont donc pas représentatifs de l’année entière.

  • Pour pallier cette limite, il est possible d’effectuer une autre simulation, sur base des prix futurs annuels moyens estimé par le fournisseur commercial en juillet[3]. Dans ce cas, la facture s’élève à 822 euros pour l’électricité et 1218 euros pour le gaz, soit 2040 euros pour les deux énergies. Cela représente une augmentation de 85 % par rapport au tarif social.

On voit donc bien comme le tarif social est un mécanisme crucial de protection des usagers et usagères. Celui-ci permet un limitation des coûts liés à l’énergie, particulièrement importante pour les ménages les plus vulnérables.


[1] https://economie.fgov.be/fr/themes/energie/prix-de-lenergie/tarif-social-pour-lenergie

[2] Prix calculé sur base de la formule tarifaire proposée en mai, mais avec la cotation du mois de juillet.

[3] Prix calculé sur base de la formule tarifaire proposée en mai, mais avec la cotation future annuelle estimée de juillet.

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